La cabane # 3. Entretien avec Josée Guellil, éditrice In8

Mars, mois de sortie. Le nouveau roman de Serge Legrand-Vall sera sur la table des libraires demain, le 14. De quoi ouvrir le printemps en humant l’air du large, celui des côtes néo-zélandaises où l’écrivain nous embarque pour une course-poursuite pied au plancher. Rencontre.
« Les eaux dangereuses » est le sixième roman de Serge Legrand-Vall et le troisième à paraître chez In8. Chacun de ses textes grandit sur le terreau d’un rigoureux travail d’imprégnation et de documentation. C’est ainsi qu’il nous a donné à vivre la guerre d’Espagne et l’exil des Républicains dans Reconquista, les utopies libertaires dans la France des seventies, tandis que l’Espagne crevait encore sous la chape de silence franquiste, dans Un oubli sans nom. Cette fois, avec Les eaux dangereuses, c’est le Pacifique sud qu’il nous invite à découvrir. Un roman haletant en forme de course-poursuite à travers la Nouvelle Zélande.

Josée Guellil : Bienvenue dans « la cabane » Serge, ce petit jardin secret d’In8 où l’on partage une discussion en connivence avec les lecteurs. In8 c’est désormais ta maison, puisque Les eaux dangereuses est ta troisième inscription au catalogue… Il faut croire que tu t’y sens bien ?…

Serge Legrand-Vall : Je confirme ! Chez In8, j’ai eu la grande chance d’entrer dans une maison particulièrement accueillante pour mon écriture. Dès la première publication, j’ai été intégré dans une forme de compagnonnage, qui m’a beaucoup séduit. Car cela signifie s’installer dans la durée, dans une relation sensible et fidèle. Qu’est-ce qu’un auteur peut demander de mieux à sa maison d’édition qu’un intérêt constant pour ses textes ? Je m’y sens à ma place.

JG : L’action de ce roman se déroule sur les îles de la Nouvelle Zélande. C’est le bout du monde !… En l’occurrence, c’est l’endroit que choisit Lisa, une psychologue française qui veut mettre à distance un mari toxique et manipulateur, pour démarrer une deuxième vie. Pourquoi nous embarquer là-bas, dans son sillage ?

Serge Legrand-Vall : C’est une longue histoire… À l’âge de douze ans, moi qui avais le plus grand mal à me situer, j’ai ouvert un grand atlas mondial. Et j’ai été fasciné par la double page des îles du Pacifique. C’est comme si je découvrais une géographie qui me correspondait dans ces grains verts minuscules, éparpillés dans un océan immense, au large des continents.
J’ai par la suite beaucoup lu sur l’histoire de la Polynésie et de ses peuples, beaucoup regardé de films. Jusqu’à écrire un premier roman (Les îles du santal) dont l’action se déroule aux îles Marquises, où je n’étais jamais allé. Et grâce à ce livre, y être invité ! Ou comment l’écriture peut faire advenir la réalité. Les eaux dangereuses se place dans le fil de ce tropisme.
Pour moi, le lieu où se situe l’intrigue est fondamental. C’est un lieu-personnage, que j’ai besoin de parcourir, d’apprendre, de ressentir, pour y faire évoluer les acteurs et développer l’histoire. En ce qui concerne ce roman, c’est en apprenant l’existence d’un géant maori dans le carnaval d’un bourg du Nord de la France, que j’ai compris que j’avais trouvé mon lieu. Je cherchais où cette femme en perdition pouvait décider de disparaître. La Nouvelle-Zélande s’est imposée.

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Dans le tourbillon des “eaux dangereuses”

Sixième roman, mais.. premier roman contemporain que je commets, puisque l’action se déroule en 2024. Et lié, par le fil d’un personnage, à mon tout premier roman.
Car c’est aux Marquises en 2022, à Nuku Hiva exactement, que m’est venue la première idée de ce livre. Le désir d’écrire sur un Marquisien d’aujourd’hui. Sur ce que signifie être issu du “Pays des Hommes”.
À ce moment-là, j’étais prêt à me saisir d’un sujet qui tourne en moi depuis longtemps, celui de la disparition d’une femme. Il ne me manquait qu’un élément déclencheur, qui m’a été donné comme une information : Dans une petite ville du Nord de la France, parmi les géants traditionnels du carnaval, figure un Maori. Pourquoi un Maori ?
Du télescopage de ces quelques éléments, une intrigue a jailli. En forme de spirale, qui associe moana et koru, motifs de tatouage porteurs de sens et de mana. Et puisque ce roman ne pouvait pas se passer d’un voyage, j’ai atterri en janvier 2024 en Nouvelle-Zélande – Aotearoa – pour suivre les traces des personnages que j’avais imaginés. Et me mettre à l’écoute de leurs voix, dispersées par la brutalité des courants et des vents de l’été austral.

Nouvelle-Zélande, été austral 2024

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Nord de la Nouvelle-Zélande, bout du monde cerné par les océans et les vents. C’est là que Lisa, psychologue française éprouvée par la vie, a choisi de disparaître. Sauf que sa trajectoire croise celle de Tainui, ex-légionnaire marquisien qui tente de se faire oublier. Alors même que Ryan, enquêteur local commandité depuis la France, se lance sur les traces de la jeune femme. Une course-poursuite s’engage sur cette île agitée par les ressacs de l’histoire, dans laquelle chacun cherche à semer son ombre. Mais sur ces terres maories, l’identité s’inscrit sur la peau à l’encre indélébile et le passé ne tarde pas à rejaillir.

Parution 14 mars 2025 aux éditions In8

Rencontre à la librairie Georges

Captation de la rencontre organisée à la librairie Georges de Talence, le 16 novembre 2022. Animée avec brio par Isabelle Poulin, professeur de littérature comparée à l’université Bordeaux Montaigne.

Extrait pages 17, 18

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“Le lieu le plus important, puisque c’est le seul dont je me souvienne, n’est pas loin. Ce village de Las Illas où les services sociaux m’avaient placée, ultime étape de ma première vie, avant que celle-ci ne connaisse un changement radical. J’avais dû réfréner mon impatience la première fois que j’avais ouvert la carte, balayant centimètre par centimètre tous les abords montagneux de Céret, avant de dénicher le village tout au sud, bien planqué au pied de la frontière.

Le panneau d’entrée de Las Illas, où le temps avait assez duré pour que je fréquente l’école, pour que je commence à penser, je l’avais tant regardé, enregistré, relu. Puisque j’avais oublié tout ce qui avait précédé, je devais absolument me rappeler de cet endroit. Il était mon seul lien avec l’avant. Poser le doigt sur ce minuscule point au nom insulaire, où je suis née une seconde fois, me procure à chaque fois un plaisir aigu. Celui de récupérer un quelque chose, égaré depuis plus d’une décennie, qui m’appartient.  Qui suis-je ? Je n’en sais rien. Mais je sais d’où je viens, c’est déjà ça.

Car il me manque mon nom. Avant, je m’appelais bien Suzanne quelque chose. Et ce quelque chose, je le savais, je l’avais prononcé et même écrit. Cet inoubliable pourtant, je l’ai oublié.

Et j’ai eu beau passer des heures d’insomnie à essayer de le faire réapparaître, de réécrire les lettres qui le composaient, seule la première revient à ma mémoire. Un L, ça commençait par un L.

À mes questions, mes parents m’ont répondu n’avoir jamais voulu le connaître et se sont étonnés. Ça ne me plaît pas, Hamel ? Je suis seule avec mon patronyme oublié, recouvert d’un autre qui ne me va qu’à moitié et n’aura jamais le pouvoir de me nommer complètement.”

Écrire, c’est insister

“Je crois que pour en faire une œuvre littéraire, il faut tout simplement rêver sa vie, un rêve où l’imagination et la mémoire se confondent.”  Patrick Modiano

Voilà trente ans que j’essaie d’écrire ce roman. Il m’aura fallu toute l’expérience des précédents et la complicité d’un personnage féminin pour y parvenir enfin, à ma quatrième tentative. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux de vous présenter, en avant-première, ce texte en dos de couverture de “Un oubli sans nom”.

Sortie le 24 octobre 2022 !

“Au printemps 1975, le monde s’offre à une jeunesse effervescente. On écoute Leonard Cohen ou America, on lit Jack Kérouac et Actuel. Tout est possible et le futur s’invente à chaque seconde. Suzanne veut en être. À 17 ans, elle brûle de larguer les amarres, fuir la Normandie et ses parents adoptifs. Et de savoir enfin d’où elle vient. Sous quel nom est-elle née ? Qui fut celle qui l’a portée avant de la confier à l’Assistance publique ? Et Suzanne de prendre clandestinement la route vers un village dont le souvenir l’obsède. D’une communauté libertaire des Pyrénées-Orientales jusqu’à l’île de Formentera, Suzanne remonte le temps, comme un saumon à sa source. Aventure intellectuelle, affective, sexuelle, sur ce chemin à rebours vers une vérité qui se dérobe.”

Dixit ALCA

Rencontre à La Machine à Lire

Librairie La Machine à Lire, Bordeaux 20 février 2020. Aux questions François Rahier. À la caméra Aurélien Juner et Sébastien Ravizé. Au montage Sébastien Ravizé

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Serge Legrand-Vall en dix dates

1958. Naissance à Montauban.

1964. De l’Ariège à la Normandie, changement de décor et de patronyme.

1976. École Supérieure des Arts appliqués Duperré / Paris.

Auditeur libre en Ethnologie, civilisations amérindiennes / Paris VII Jussieu.

1986. Ateliers Cinématographiques Sirventès, écriture scénaristique / Toulouse.

1995. Bordeaux.

2005. Toulouse Bordeaux l’un dans l’autre (essai), première publication.

2011. Les îles du santal, premier roman suivi d'une résidence d'écriture aux îles Marquises pour La part du requin.

2013. La rive sombre de l’Ebre.

2018. Résidence d'écriture à Barcelone pour Reconquista, avec le soutien de la région Nouvelle-Aquitaine.

2022. Un oubli sans nom.

Plus :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Legrand-Vall

Les avis de lecteurs :

https://www.babelio.com/auteur/Serge-Legrand-Vall/111133

L'actu :

https://www.facebook.com/serge.legrandvall

Les livres en stock dans les librairies indépendantes :

https://www.placedeslibraires.fr/

Et les indispensables :

https://www.editionsin8.com/

https://www.editionselytis.com/

D'abord pourquoi vendredi écriture ?

Pour écrire, pendant une vingtaine d'années, j'ai défendu comme une citadelle assiégée mon vendredi. Le siège a été levé en 2020 et j'écris désormais tous les jours si je veux. Mais c'est grâce à tous ces vendredis que j'en suis arrivé là. 

 

À propos de mon rapport au vrai et à l'imaginaire dans l'écriture,

je ne résiste pas au plaisir de vous livrer cet extrait du monde selon Garp de John Irving :

“Il attendait le moment où elle lui demanderait : et alors ? Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est inventé ? Il lui dirait alors que rien de tout ça n'avait la moindre importance ; Elle n'avait qu'à lui dire tout ce qu'elle ne croyait pas. Il modifierait alors cette partie. Tout ce qu'elle croyait était vrai ; tout ce qu'elle ne croyait pas devait être remanié. Si elle croyait toute l'histoire, dans ce cas, toute l'histoire était vraie.”