“Le lieu le plus important, puisque c'est le seul dont je me souvienne, n'est pas loin. Ce village de Las Illas où les services sociaux m'avaient placée, ultime étape de ma première vie, avant que celle-ci ne connaisse un changement radical. J'avais dû réfréner mon impatience la première fois que j'avais ouvert la carte, balayant centimètre par centimètre tous les abords montagneux de Céret, avant de dénicher le village tout au sud, bien planqué au pied de la frontière.
Le panneau d'entrée de Las Illas, où le temps avait assez duré pour que je fréquente l'école, pour que je commence à penser, je l'avais tant regardé, enregistré, relu. Puisque j'avais oublié tout ce qui avait précédé, je devais absolument me rappeler de cet endroit. Il était mon seul lien avec l'avant. Poser le doigt sur ce minuscule point au nom insulaire, où je suis née une seconde fois, me procure à chaque fois un plaisir aigu. Celui de récupérer un quelque chose, égaré depuis plus d'une décennie, qui m'appartient. Qui suis-je ? Je n'en sais rien. Mais je sais d'où je viens, c'est déjà ça.
Car il me manque mon nom. Avant, je m'appelais bien Suzanne quelque chose. Et ce quelque chose, je le savais, je l'avais prononcé et même écrit. Cet inoubliable pourtant, je l'ai oublié.
Et j'ai eu beau passer des heures d'insomnie à essayer de le faire réapparaître, de réécrire les lettres qui le composaient, seule la première revient à ma mémoire. Un L, ça commençait par un L.À mes questions, mes parents m'ont répondu n'avoir jamais voulu le connaître et se sont étonnés. Ça ne me plaît pas, Hamel ? Je suis seule avec mon patronyme oublié, recouvert d'un autre qui ne me va qu'à moitié et n'aura jamais le pouvoir de me nommer complètement.”
“Je crois que pour en faire une œuvre littéraire, il faut tout simplement rêver sa vie, un rêve où l’imagination et la mémoire se confondent.” Patrick Modiano
Voilà trente ans que j’essaie d’écrire ce roman. Il m’aura fallu toute l’expérience des précédents et la complicité d’un personnage féminin pour y parvenir enfin, à ma quatrième tentative. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux de vous présenter, en avant-première, ce texte en dos de couverture de “Un oubli sans nom”.
Sortie le 24 octobre 2022 !
“Au printemps 1975, le monde s'offre à une jeunesse effervescente. On écoute Leonard Cohen ou America, on lit Jack Kérouac et Actuel. Tout est possible et le futur s'invente à chaque seconde. Suzanne veut en être. À 17 ans, elle brûle de larguer les amarres, fuir la Normandie et ses parents adoptifs. Et de savoir enfin d'où elle vient. Sous quel nom est-elle née ? Qui fut celle qui l'a portée avant de la confier à l'Assistance publique ? Et Suzanne de prendre clandestinement la route vers un village dont le souvenir l’obsède. D’une communauté libertaire des Pyrénées-Orientales jusqu'à l'île de Formentera, Suzanne remonte le temps, comme un saumon à sa source. Aventure intellectuelle, affective, sexuelle, sur ce chemin à rebours vers une vérité qui se dérobe.”
6 octobre 2020
Quelques pages de lecture pendant L'Escale du livre “en chaussons”
Librairie La Machine à Lire, Bordeaux 20 février 2020. Aux questions François Rahier. À la caméra Aurélien Juner et Sébastien Ravizé. Au montage Sébastien Ravizé
Ce n'est pas la première fois que je remarque que mes projets sont de façon quasi systématique servis par des coups de pouce du hasard, des rencontres opportunes, des miracles minuscules qui, ensemble, contribuent à entretenir ma confiance et ma ténacité, dans la longue gestation d'un roman.
L’idée de “Reconquista” est un cadeau que m’a fait Emilia Sánchez, en me remettant à la médiathèque de Seix un jour de 2013, un dossier sur la trajectoire de son père. La bourse d’écriture décernée sur la base de mon synopsis par la région Nouvelle Aquitaine, a été un don inattendu et supplémentaire, qui m'a permis de partir écrire un mois à Barcelone.
Ma découverte de Jiwar, cette résidence pour auteurs dans le quartier de Gràcia, a continué l’heureuse série, assorti d'un clin d’œil appuyé : car malgré l’étendue de la ville, cette résidence de la rue d’Astúries ne se trouve qu’à quelques centaines de mètres de l’appartement que mes grands parents ont dû quitter à tout jamais, en janvier 1939. Pendant ce séjour, combien de fois suis-je passé devant, en jetant un coup d’œil au premier étage, au cas où l’un d’eux viendrait à la fenêtre !
L’immersion indispensable dans la matière de cette ville originelle et le voyage dans le temps que j’y ai accompli se sont révélés tout à fait passionnants. Et j’ai connu pendant mes recherches aux archives historiques de Barcelone de vraies joies, à mesure que je mettais la main sur les informations qui me manquaient, avec l’aide active de l’archiviste Laura Coll, qui par chance parlait français.
Pour conclure cette résidence d’écriture, un article sur mon travail posté sur la page Facebook Jiwar par Mireia Estrada, la fondatrice de l'endroit, a intéressé une journaliste de la télé catalane TV3. Ce qui a donné lieu au reportage joint…
Quand Paul Auster écrit : “Rien n’est réel, sauf le hasard”, je peux renchérir en disant que non seulement il est réel, mais il se met en quatre pour que ce projet aboutisse !
Jiwar Barcelona, août 2018
Vidéo Mollat, 12 février 2015.