12 Oct Extrait pages 17, 18
“Le lieu le plus important, puisque c’est le seul dont je me souvienne, n’est pas loin. Ce village de Las Illas où les services sociaux m’avaient placée, ultime étape de ma première vie, avant que celle-ci ne connaisse un changement radical. J’avais dû réfréner mon impatience la première fois que j’avais ouvert la carte, balayant centimètre par centimètre tous les abords montagneux de Céret, avant de dénicher le village tout au sud, bien planqué au pied de la frontière.
Le panneau d’entrée de Las Illas, où le temps avait assez duré pour que je fréquente l’école, pour que je commence à penser, je l’avais tant regardé, enregistré, relu. Puisque j’avais oublié tout ce qui avait précédé, je devais absolument me rappeler de cet endroit. Il était mon seul lien avec l’avant. Poser le doigt sur ce minuscule point au nom insulaire, où je suis née une seconde fois, me procure à chaque fois un plaisir aigu. Celui de récupérer un quelque chose, égaré depuis plus d’une décennie, qui m’appartient. Qui suis-je ? Je n’en sais rien. Mais je sais d’où je viens, c’est déjà ça.
Car il me manque mon nom. Avant, je m’appelais bien Suzanne quelque chose. Et ce quelque chose, je le savais, je l’avais prononcé et même écrit. Cet inoubliable pourtant, je l’ai oublié.
Et j’ai eu beau passer des heures d’insomnie à essayer de le faire réapparaître, de réécrire les lettres qui le composaient, seule la première revient à ma mémoire. Un L, ça commençait par un L.
À mes questions, mes parents m’ont répondu n’avoir jamais voulu le connaître et se sont étonnés. Ça ne me plaît pas, Hamel ? Je suis seule avec mon patronyme oublié, recouvert d’un autre qui ne me va qu’à moitié et n’aura jamais le pouvoir de me nommer complètement.”
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