12 Nov La Cause Littéraire
Peut-on lutter contre l’oubli en allant à la recherche de son père ou plus exactement du passé de celui-ci ? Il semble bien que ce soit le cas, à la lecture du roman de Serge Legrand-Vall La rive sombre de l’Ebre.
Nous sommes en 1964. Antoine est journaliste à Bordeaux, il aime Marie, sa compagne. Il est fils adoptif d’Émile, qui l’a élevé durant son enfance en France et d’Inès, réfugiée espagnole. Mais il est aussi le fils d’Antonio Romero, mort durant la bataille de l’Ebre en 1938, après que sa fiancée Inès ait mis au monde leur enfant dans la neige d’un col pyrénéen durant la retirada, la retraite des troupes républicaines espagnoles face à l’offensive des troupes franquistes la même année.
Après la mort prématurée de sa mère, Antoine découvre des lettres de son père au passé insuffisamment éclairci. Pour en avoir le cœur net, il décide de se rendre en Espagne, à cette époque toujours sous la dictature de Franco.
À Mora, en Catalogne, village originel de sa famille, il rencontre ainsi Pilar, une vieille cousine d’Antonio. Antoine, qui avait été intrigué par la mention d’un certain Gonzalo dans les lettres de son père, apprend de celui-ci était un ami d’enfance de ses parents, avant de passer du côté franquiste pendant la guerre.
Il y a dans ce roman une série de rappels concernant l’histoire, le pouvoir de l’idéal, celui de la violence aussi. Ainsi apprend-on avec quelque honte que les réfugiés espagnols ont été loin d’être les bienvenus, au pic de leur exode, en 1939. Manolo, un personnage du roman, exilé, se souvient : “Et les coups de crosse avec ça, les insultes. Comme si la seule chose qu’ils voulaient, c’était nous humilier. On a été parqués comme du bétail dans une cour de ferme, sans nourriture, sans eau, dans la boue, sous la pluie et la neige…”.
L’auteur rappelle que cette guerre fut le théâtre d’atrocités multiples, que des milliers de fusillés ont été enterrés dans des fosses communes, sans sépulture… Le récit de la mort d’Antonio Romero, en novembre 1938, noyé au cours du repli de son détachement, prend tout son sens : “Engourdi, épuisé. L’eau glacée emplit sa bouche. Elle avait un goût de roche et de pluie. Antonio sut qu’il ne vivrait pas ce que la vie, pourtant, lui avait réservé. Puis la paix des eaux le recouvrit.”.
Le récit retient bien l’attention du lecteur, en particulier grâce à la mention du contenu des lettres d’Antonio et à l’évocation de la situation des personnages durant la guerre civile. Ceux-ci y ont une grande épaisseur humaine. On s’attache à leurs combats, on compatit à leurs déchirements entre deux cultures. Nous ne révèlerons pas le dénouement du roman, dont la lecture est très agréable, souvent émouvante. Cet ouvrage illustre la liaison étroite entre l’Histoire, toujours à (re)découvrir, et les destinées individuelles, incluses dans cette dernière et actrices de son accomplissement.
Stéphane Bret
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